Hommage du Docteur Juan Garcia de Oteyza, Barcelone

RENÉE PIGASSOU (1920-2010)

Le 23 Juin 2010 est décédée dans la ville de Toulouse, à l’âge de 90 ans, le Dr Renée Pigassou.

Si je m’autorise à écrire ces quelques lignes, c’est qu’en mon âme et conscience je me présente comme un de ses disciples et un de ses plus fervents admirateurs.
Sa vie familiale (veuve très jeune avec trois enfants en bas âge) et sa vie professionnelle ne furent pas faciles, et pour parvenir à ce niveau d’excellence professionnelle, il lui fallu faire d’énormes sacrifices et renoncer très souvent à son rôle de mère.

Dès le début de sa carrière professionnelle, pourvue de bases neuro-opthalmologiques extrêmement solides, elle a démontré une curiosité scientifique extraordinaire qui s´est concrétisée finalement par l´étude physiologique de la vision binoculaire et son application au strabisme et à l’amblyopie.
Elle est un ardent défenseur du traitement global du strabisme mettant inlassablement l’accent sur le fait que l’orthophorie, objectif final du traitement du strabisme, ne peut être obtenue sans un traitement préalable du dérèglement sensoriel. En d’autres termes, elle a toujours cru que la seule chirurgie n’aboutissait pas à la guérison. Elle a défendu ce principe avec véhémence et fermeté, suscitant un «trouble» dans tous les forums consacrés au strabisme (d’autant plus que dans ces derniers, on parlait exclusivement de chirurgie).
Elle conçut le stéréoprojecteur qui permettra non seulement de connaître l’état sensoriel du strabisme (CRA et/ou suppression) dans l’espace, mais aussi de valider l’efficacité du traitement dans le temps.
Depuis son traitement original et particulier à l’aide de prismes hypercorrecteurs de la CRA, rien n´a été publié sur de nouvelles possibilités thérapeutiques de la sensorialité anormale.
En ce qui concerne l’amblyopie profonde avec fixation excentrique, elle proposa le traitement avec le prisme inversé sur l’œil atteint.
Cependant, si un jour le Dr.Pigassou entre dans l’Histoire, ce sera grâce à son échelle d’acuité visuelle  utilisée dans tous les services d’ophtalmologie pédiatrique et de strabisme du monde entier.
Ses nombreuses recherches cliniques ont été  publiées dans les revues les plus prestigieuses de la spécialité, incluant la nôtre. Sa soif de recherche et de partage de ses connaissances l’a amenée à publier, même à la retraite, une trilogie d’ouvrages sur l’amblyopie et le strabisme.
Grâce à sa généreuse hospitalité et à sa disponibilité permanente, de nombreux ophtalmologistes du monde entier intéressés par ses techniques du traitement prismatique, sont passés dans son cabinet médical de la rue Roquelaine à Toulouse. Parmi eux de nombreux espagnols de ma génération. A la fin de ses consultations elle avait toujours le temps pour aider à résoudre les cas difficiles et à dissiper les doutes.
Je crois, enfin, que le Dr. Pigassou (membre d’honneur de notre Société) mérite une place privilégiée dans le monde du strabisme pour ses importants apports à une meilleure connaissance de la sensorialité anormale dans le strabisme et pour avoir été « l’avant-dernier » chercheur à essayer de les traiter dans l’ espace.
Au revoir, Renée  

Juan Garcia de Oteyza
Traduit de l’espagnol, Obituario Renée Pigassou (1920-2010),  Acta Estrabológica
Vol. XXXIX, Julio-Diciembre 2010; 2: 00-00

 

Hommage de Monique Cazes, Andrée Kampf, Monique Lagarrigue, Anne-Marie Le Moigne, Marie Rioux, orthoptistes (Toulouse)

RENEE PIGASSOU-ALBOUY, 12 février 1920 - 23 juin 2010

Au nom de Pigassou, on associe échelles d’acuité visuelle pour enfants, mais le docteur Renée Pigassou a marqué l’orthoptie par sa volonté indéfectible à traiter l’amblyopie et le strabisme, étudier, réfléchir, chercher, écrire, mettre en œuvre des thérapies, aider les orthoptistes à cheminer pour trouver et prendre leur place, avoir leur propre territoire de communications professionnelles.

Son cursus atypique lui a sans doute était précieux : neurologie, physiologie, ophtalmologie…sans oublier son passage chez le professeur Riser dont elle n’a jamais oublié la rigueur : tout doit être recherché, noté avec précision, constaté le positif et le négatif…Par ses actions déterminantes, une prise en charge orthoptique spécifique est reconnue pour les infirmités motrices d’origine cérébrale et les déficients visuels.
En 1985, elle prend sa retraite, n’apparaît plus lors des congrès et tout un pan de la recherche  et de la rééducation orthoptiques cesse d’exister.
Il est donc naturel que les jeunes générations ignorent qu’elle a œuvré avec pugnacité pour :
- obtenir des dépistages systématiques dès l’école maternelle, chez les enfants de plus en plus jeunes, chez les bébés ;
- améliorer faisabilité et fiabilité des examens du tout petit et du handicapé ;
- faire réaliser des lunettes adaptées à la morphologie du très jeune enfant et du bébé ;
- créer des appareils stéréoprojecteur et surtout optomultiflash rendant accessibles des rééducations de l’amblyopie sévère.

Des soins accessibles à tous

Les soins devant être accessibles à tous, Renée Pigassou a entrepris des démarches auprès de la CPAM de Toulouse, est intervenue auprès de la PMI, des enseignants…elle a recherché l’aide de compétences supplémentaires en pédiatrie, kinésithérapie, psychologie.
Durant toute sa vie professionnelle, elle a milité ; la vision binoculaire normale peut être récupérée, c’est possible aux prix d’efforts, de patience et de rigueur. Même en 2009, tandis qu’elle avait donné au musée de la Médecine de Toulouse le matériel orthoptique significatif de son travail, accompagné des textes explicatifs,chaque mot bien pesé, il lui a fallu absolument s’assurer que l’inscription que retiendrait la conservatrice du musée comporte bien : « La surcorrection prismatique ne peut à elle seule guérir un strabisme.
Elle sert à perturber la liaison motrice anormale. Lorsque cette liaison motrice anormale est détruite, le traitement par postimages permet la mise en place d’une liaison motrice bifovéale ».
Femme de conviction, elle tenait les orthoptistes pour partenaires, car ce sont eux qui font au quotidien, expérimentent, observent, constatent. Dans sa clinique toulousaine, elle avait avant l’heure, institué le droit et même l’obligation à la formation continue de ses orthoptistes.
Femme rigoureuse, d’ouverture et d’accueil, elle recevait à Toulouse et dans les centres ASEI (Agir. Soigner. Eduquer. Insérer) ; les ophtalmologistes et les orthoptistes de tous horizons ; ouvrait les dossiers, permettait qu’ils pratiquent eux-mêmes lors contrôles ; mettait ses propres orthoptistes à leur disposition pour apprendre les gestes utiles à la réalisation  des thérapies. A-t-elle fait des émules ? Peu à notre connaissance. Elle avait tant d’exigences qu’elle pouvait matérialiser par l’équipe d’orthoptistes dont elle s’était entourée, y compris l’aide d’opticiens, que les personnes les plus convaincues, de retour chez elles, avaient du mal à pouvoir réaliser à l’identique ce qu’elles avaient un temps partagé, souffrant trop de l’isolement pour y parvenir. Cela a été son grand regret.

Des acquis qui demeurent

Les années ont passé, l’évolution des pathologies, les critères nouveaux d’efficacité, la préciosité du temps, les réductions des coûts de la santé, les nouveaux rôles des orthoptistes, etc. ont fait qu’une page nous paraît bien tournée, mais des acquis demeurent que les lignes ci-dessus ont survolés.
En février 2010, nous, ses anciennes orthoptistes, l’entourions pour fêter ses 90 ans. Quelques mois après elle fermait définitivement les yeux.
Ce témoignage est éminemment partisan, car nous l’avons côtoyée. Elle a été notre patronne, notre chef de service, et même plus tard notre amie, mais avant tout « notre maître » et nous laisse bien seules avec son immense bibliographie, ses trois livres en strabologie ; Les divergences oculaires, Les convergences oculaires, et Amblyopie, et une centaine de communications dans les congrès et les revues françaises et européennes.

Monique Cazes, Andrée Kampf, Monique Lagarrigue, Anne-Marie Le Moigne, Marie Rioux

Revue francophone d’orthoptie, Elsevier Masson SAS, Paris n° 4, Vol. 3, Décembre 2010